Présents dans les librairies qui n’ont pas renoncé à la pluralité des mondes existants dans l’édition, peu visibles dans la presse qui a trop à faire avec les égos des uns et les attachées de presse des autres, soucieux de faire vivre un catalogue qui semble privilégier l’insolence contre la fausse innocence (une illusion en littérature), le style contre la culture du cliché (une invasion), l’humour contre l’esprit de sérieux (la vertu des imbéciles), l'Arbre vengeur publie une douzaine de livres par an, dans des formats différents, privilégiant la prose, qu’elle soit roman, nouvelle ou plus rarement récit.
Éditée par Minuit en 1948 mais écrite bien plus tôt, David fait partie des oeuvres méconnues de Dhôtel alors qu'elle en est la quintessence. On y suit depuis son enfance un orphelin misérable qui a choisi de dire non à toutes les chances qu'on lui offre, cousin campagnard de Bartleby : «je ne peux pas m'expliquer» dit-il. Libre, sans hiérarchie, sans révolte et sans le sou, il avance, ne rendant de compte à quiconque, même si un homme riche lui propose d'en faire son héritier.
«Lire un roman d'André Dhôtel revient à plonger dans un mystère, mais un mystère limpide, net, le contraire du brouillard, ce qui est loin d'être le seul paradoxe de cette prose si singulière et captivante.» «Il a une place unique dans le roman actuel, un grand livre, une sorte de féerie minutieuse.» (Henri Thomas)
L'Histoire sait bien quoi faire de ceux qu'elle n'arrive pas à classer ni dans le camp des vainqueurs, ni dans celui des vaincus : elle les élimine et les enterre.
Arnaud Maïsetti, fasciné par ce continent imaginaire qu'est le Canada, a rencontré le fantôme d'Etienne Brûlé, un gueux mystérieux qui fut aux côtés de Champlain dans sa conquête inattendue de ce qui deviendrait le Québec dont il fonda la ville éponyme. Comment expliquer que ce jeune garçon engagé comme mousse soit devenu le véritable découvreur de ce territoire incompréhensible pour les Blancs, le premier interlocuteur de ceux que l'on nommerait "Indiens", le premier arpenteur d'un espace inviolé ? C'est le défi de ce roman brûlant qui se perd sur les traces d'un oublié de l'Histoire pour en réinventer le mystère.
Mousse embarqué de force sur un bateau où l'équipage ne lui épargne rien, le narrateur de cette histoire raconte sa vie en mer, entre les privations, les sévices et la cruauté des marins, mais sous la protection du cuistot. Ce dernier comprend vite qu'avec le vent qui tombe se préparent des temps terribles et que la vie sur un galion immobile va devenir un enfer.
C'est ainsi que débute un des romans fantastiques les plus saisissants de la littérature française, transformant une aventure maritime en conte initiatique : dans le sillage des deux rescapés fascinés par la montagne qui domine l'île où ils ont échoué et qui semble avoir été désertée par les humains, un univers aussi fabuleux qu'inquiétant émerge de la roche.
À l'ombre d'un père immense, un seul livre, posthume, a permis à Michel Bernanos, de se faire un prénom. La Montagne morte de la vie est de ceux dont les images et les visions vous poursuivent toute une vie.
Demandez à Ski ce qu'on disait l'autre jour chez Chevillard, à deux pas de nous, quand vous êtes entré dans ma loge. (Proust, La Prisonnière) On oublie un peu que Chevillard avait trouvé sa place dans la Recherche de Proust. Il n'était que temps de voir l'auteur de L'Autofictif rendre la monnaie de sa pièce au grand écrivain dont on célèbre un centenaire en 2023.
Autonome des lettres, le trimardeur Marc Stéphane fut l'inventeur d'un langage que les lecteurs de 1928 vont découvrir (avec 20 ans de retard) abasourdis, précurseur du Voyage d'un certain Céline... Une oeuvre dont la langue paraissait à Henry Poulaille « d'une verdeur splendide qui n'a pas encore ni de nous tenir en haleine ». La Cité des fous est l'incroyable association de ce langage et d'un témoignage halluciné sur une prison camouflée en hôpital. Difficile de sortir indemne d'une telle plongée.
Les lecteurs de Franz Bartelt connaissent sa prédilection pour les personnages bavards adeptes de théories, de divagations, parfois mais pas toujours à jeun.
En quinze monologues, il propose autant de figures qui font de la mauvaise foi, de la mauvaise humeur ou de la mauvaise haleine un art majeur. Du critique de théâtre persuadé que sa plume est « une arme de destruction massive » qui aurait mérité une bonne guerre, à l'adepte de la politique de la chaise vide, en passant par un surdoué magnifiquement abruti, voilà une galerie qui permet à l'auteur du Jardin du bossu de donner toute la mesure de son inspiration puisée au café du coin ou pas tellement plus loin. Et si encore ce n'était que drôle...
Paul Gégauff jugeait que Rébus était le meilleur de ses romans, en tout cas son préféré. Paru en 1957 chez Minuit, il témoigne autant de l'excentricité de son auteur que de son style, toujours éclatant. Il met en scène Rodolphe, jeune homme riche qui s'ennuie et qui décide un beau jour de convier ses amis pour le déménagement de longue haleine de sa baraque de 23 pièces classée monument historique. Il est surtout question de "faire la noce" et de balancer par la fenêtre le mobilier. Il s'agit aussi de se livrer à un joyeux saccage de l'ordre bourgeois et de passer au laminoir autant les objets que les idées. Mais n'y a-t-il pas quelque danger à vouloir tout détruire ? En voulant aller au bout de son défi, la bande va dangereusement se diriger vers un précipice, ou simplement un trou...
Claro aime tellement la littérature que la fréquenter en permanence lui aiguise les dents qu'il a souvent très dures. Dans ce recueil, il taille de beaux costards à quelques phobies françaises, aux valeurs frelatées du roman hexagonal, aux prix littéraires qu'il honnit (tant qu'il n'en a pas), aux éditeurs qui exagèrent, et nous subjugue avec sa vérité sur le Stabilo, les pseudos transparents, ses conseils pour obtenir le succès, ses remarques sur la zoophilie...
Et les gougères. Impitoyable !
C'est sur l'abrupte côte normande chère à Flaubert et Maupassant, aux environs d'Étretat, qu'Éric Chevillard, poète aux semelles de glu, comme il se désigne, a décidé d'affronter enfin sa peur du vide. C'est que l'on ne peut impunément se laisser traiter par sa fille de craintif des falaises sans réagir. Qu'est-ce d'ailleurs que cet animal ? Un quadrupède gauche et titubant qu'une malédiction a fait naître sur les crêtes où il ne sait pourtant que défaillir. Par bonheur, l'auteur a la main plus agile et plus ferme que le pied et il se fait le conteur de son martyre inavouable, aidé dans sa quête de vérité par tous les écrivains qui l'ont précédé sur les sentiers à risque.
Avec ce recueil inédit, nous plongeons dans l'arrière-pays sauvage du Canada au début de l'automne, alors que la température baisse et que les arbres revêtent leur parure dorée. Tout au long des histoires, les personnages évoluent dans ce décor de lacs, avec leurs barrages de castor, les huards et leurs chants étranges, les chipmunks, loups et ours ; les canots, les nuits autour du feu de camp. Avec la nuit l'atmosphère devient pesante. Des Blancs orgueilleux partent chasser au coeur d'une forêt qu'ils méconnaissent malgré leurs guides indiens qui les conjurent de respecter ces territoires sacrés.
Quand ils ressortent des bois, les chasseurs ont changé : ils ont appris, avec la peur de leur vie, qu'il faut respecter la nature, ses secrets et sa grandeur.
Des contes d'épouvante fabuleux.
Parue en 1935, cette dystopie britannique fait partie des plus belles et des plus intrigantes réussites du genre. Elle immerge le lecteur dans les tréfonds d'une civilisation descendante des Romains qui s'est installée sous la terre, au bord d'une vaste mer intérieure, entourée d'angoissantes ténèbres. Le héros qui découvre cette terre sous la terre poursuit un vieux fantasme familial persuadé de l'existence de ce monde. Mais nul n'a pu le prouver jusqu'à l'aventure d'un intrépide qui va entreprendre de raconter dans le détail le monde qui s'est développé à l'abri de la surface, une terre peuplée d'animaux et de plantes fantastiques où l'humain a créé une société impitoyable dont toute liberté est bannie, faisant de l'individu un serviteur absolu de l'État. La société totalitaire qu'il décrit est régie par le contrôle télépathique des esprits. Le roman combine aux éléments d'un récit de «race perdue» les craintes de contrôle totalitaire dans une époque où le fascisme embrase les esprits en Europe.
Fable dont la date de parution originale n'a rien d'anodin, La terre sous l'Angleterre mêle le texte d'aventure à la réflexion dystopique la plus inquiétante.
Enfant, Jean-Pierre Ohl s'est cru responsable de la mort de son idole Enid Blyton, la radio ayant annoncé le disparition de la créatrice de Oui-Oui alors qu'il achevait un de ses livres. C'est sans doute pour conjurer ce traumatisme qu'il nous offre aujourd'hui un roman alambiqué et ambré comme il sait les imaginer, nous entraînant à la suite d'une improbable brochette d'enquêteurs penchés sur l'identité du "lectueur", un vengeur qui se charge de faire payer aux "grands" auteurs leurs viles actions. On en retrouve en effet quelques uns victimes de lettres qui semblent les terrasser. Placée entre un libraire digne de Dickens et porté sur la bouteille et un commissaire en retraite qui se sait condamné, une jeune étudiante va ressusciter une époque révolue, celle où l'on croyait aux livres...
Dans la merveilleuse traduction du «Prince des humoristes», Gabriel de Lautrec, voici presque dix contes du précurseur de l'humour américain, celui qui a inventé un ton, un style, donné ses lettres de noblesse à la langue populaire, Mark Twain, génie pince sans rire qui nous fait rire plus de cent ans après sa mort.
«Enfiler des détails incongrus et absurdes sans but, et ne pas avoir l'air de s'apercevoir que ce sont des absurdités, telle est la base de l'art américain», écrivait-il, telle est sa base surtout lui qui enchaîne avec une vivacité primesautière les histoires les plus burlesques sur le ton le plus sérieux. La vie est exaspérante, c'est une bonne raison d'en rire. L'échec est bien plus garanti que le succès, autant s'en gausser, pour se hausser...
Sous la patronage du Zeno de Svevo obsédé par sa tabagie, Raphaël Rupert nous raconte la vie d'Hector Schmidt au prisme de la migraine (classée 20° maladie au monde par l'OMS...) qui le poursuit et l'accompagne depuis l'enfance. Maladie par excellence des écrivains ? s'interroge le narrateur qui n'est jamais en mal de référence. Hugo, Balzac, Maupassant, Sand, Stendhal, Flaubert, Gide ont tous contribué à l'anthologie des grands migraineux de talent. On en parle, on l'étudie mais on ne la vainc jamais. Alors une fois que l'on a tout dit, c'est peut-être la littérature qui peut essayer d'éclairer cette part d'ombre. Dans ses pages, le héros à la tête hachée, après avoir tenté la psychiatrie, interroge, subit, raconte, tente des expériences qui vont le mener dans des lieux inattendus.
Premier roman d'un auteur qui en aligna une belle série en quarante ans et qui écrit avec toujours autant de fougue et de joie, Mon poing sur la gueule marqua de façon puissante l'irruption sur la scène littéraire d'un franc combattant de la plume. 1880, petit bourg des USA, ennui assuré jusqu'à l'arrivée impromptue dans le saloon d'un gros monsieur bien habillé qui vient faire une proposition singulière :
L'organisation d'un combat de boxe entre deux jeunes Noirs. Le promoteur est noir lui aussi, pas si rassuré que ça mais convaincu que les petits Blancs vont se régaler du spectacle. C'est sans compter sur les ignobles petites mesquineries des vermines du coin qui vont profiter de l'occasion pour transformer l'événement en explosion de violence incontrôlée. Soufflant !
Manquant de répartie lorsque nous sommes agressés, nous ruminons pendant des mois les arguments que nous aurions pu opposer à notre adversaire. Ces lettres nous fournissent les formulations précises qui désamorcent les humiliations subies. Non seulement leur lecture peut calmer nos ruminations mais, si nous retrouvons notre bourreau, leur envoi peut crucifier définitivement sa conscience, avec ce sentiment de sérénité que procure le rééquilibrage du monde.
Avec cet ouvrage, définitivement définitif, il tente d'élever les imbéciles en les rabaissant à coup de soixante-deux missives.
Un livre qui enchante le métro, ce lieu hostile et rude, si peu poétique d'habitude, en nous plongeant dans une histoire de fascination et d'amour, celle d'un jeune homme pour une femme entraperçue dans un wagon filant dans la nuit. Chaque chapitre correspond à une des stations qui conduit vers le terminus Étoile, chaque chapitre évoque les coïncidences amoureuses (car voilà que la jeune fille est au coeur d'une fête clandestine qui gravite autour d'elle) et le rêve d'un ailleurs, chaque chapitre nous rapproche d'une fin qui ne laissera pas de nous surprendre, car tout est possible dans le métropolitain quand on s'abandonne à l'espoir de frémir à nouveau. Un livre qui allie délicatesse et ironie dans un Paris d'avant-guerre, onirique et imaginaire.
Dans le train qui chaque semaine le ramène chez lui, un homme prend soudainement conscience que les autres passagers de son compartiment, du wagon et même du train entier sont la proie d'un profond sommeil. Cherchant à découvrir l'origine de ce curieux phénomène, notre protagoniste va vivre une expérience inattendue, hors du temps, jusqu'aux confins de la réalité et de sa propre existence, déambulant dans un monde qu'il semble inventer. Chef-d'oeuvre trop méconnu de la littérature fantastique européenne du XXe siècle, Un soir, un train oscille entre conte philosophique et roman empreint d'un onirisme déroutant. Jean- Philippe Toussaint propose une singulière ouverture à ce roman d'un écrivain belge qui gagnerait à retrouver un public.
Bien sûr, cela fait des décennies que la littérature nous annonce l'anéantissement de la race humaine, notre capacité à nous détruire ne se discutant plus. Quinzinzinzili fait partie des rares grands romans post-apocalyptiques et étonne toujours par son ironie visionnaire, son pessimisme halluciné et ses trouvailles géniales. Publié en 1935, il a été imaginé par Régis Messac (1893-1945), considéré comme l'un des précurseurs du genre, et nous entraîne après le cataclysme, à la suite du dernier des adultes, témoin stupéfait de la renaissance du genre humain : sous ses yeux désabusés, un groupe d'enfants réinvente une Humanité dont l'Histoire a disparu. Et Messac, qui sait que la Civilisation est mortelle, nous offre le spectacle d'une poignée de gosses en train de lui régler son compte...
La SF française, même si le terme n'existe pas encore ici, connaît son premier âge d'or de 1918 à 1935. Le genre est identifié dès la fin du xixe grâce aux succès de Verne et Wells. Les Anglais l'appellent scientific romance, les Français roman scientifique ou merveilleux-scientifique selon Maurice Renard. Porté par un élan fondateur jusqu'au déclenchement de la Grande Guerre, le genre se relance après, et entre alors dans une période faste où les thèmes classiques sont déployés et raffinés à l'extrême : entités mystérieuses, savants fous, fins du monde, quatrième dimension... 2 500 oeuvres, négligées pour la plupart. Six de ces oeuvres sont rassemblées ici, précédées d'une longue introduction de Serge Lehman qui revient en détail sur la naissance de cette SF française des origines. Un événement dans ce domaine.
Le livre contient les six textes suivants :
Dans trois cents ans, de Pierre Mille.
Tsade´ (une aventure de Palmyre), de Rene´e Dunan.
Les navigateurs de l'infini, de J.-H. Rosny ai^ne´.
La terreur rose, de Jean Ray.
Ou`? (document), de Claude Farre`re.
L'agonie du globe, de Jacques Spitz.
La Pulpe et la Moëlle (préface) de Serge Lehman (in Maîtres du vertige, L'Arbre vengeur) = Grand Prix de l'Imaginaire (essai) 2022.
Un combat de boxe c'est quinze rounds de violence, de calcul, d'espoirs, de renoncements, d'erreurs tactiques, de beaux gestes fulgurants, c'est un jeu de massacre dont il faut sortir à temps, c'est une course contre soi-même et contre l'autre, l'adversaire qu'on croit battre et qui se relève sans fin jusqu'au moment où c'est lui qui vous abat. Quinze rounds c'est le récit halluciné d'un homme devenu fou qui revit sans fin, devant qui veut l'entendre, le calvaire de son dernier combat, celui de trop, celui dont on ne se remet pas.
Raconté minute par minute, il nous tient entre les quatre cordes de ce récit syncopé, virtuose, frénétique, exténuant, toujours à la lisière de l'épuisement.
Rarement boxe et littérature auront aussi bien dansé ensemble.
Cette longue nouvelle écrite en 1926 met en scène un individu à la fois idéaliste et misanthrope qui acquiert à l'âge de 35 ans une île dans l'intention de la transformer et de créer un univers dont il sera le maître.Ses espoirs déçus, il s'installe sur une deuxième île plus petite et sombre peu à peu dans la plus totale indifférence avant de finir hanté par ses obsessions.
Mirbeau était un grand romancier mais il mettait de l'énergie à bousculer ce genre bourgeois : il débuta le siècle avec un Décaméron fou et ravageur, placé sous le signe d'une maladie alors en vogue, la neurasthénie. Avec ces contes cruels où défile une humanité inquiétante et odieuse qui provoque ses ricanements inspirés, les scènes de cure pyrénéenne qu'il imagine nous offrent la peinture de fripouilles, crapules, imbéciles et autres sales individus auxquels il règle leur compte d'un trait impitoyable. Livre de l'excès d'un homme blessé qui a choisi le rire pour se venger de la folie de la société, livre du dégoût qu'une vivifiante drôlerie permet de surmonter, ce roman, dans lequel il déploie son humour ravageur, est la plus belle revanche d'un écrivain qui fit de sa colère une gloire.